Me croirez-vous ? Paradoxalement, ce qui prend le plus de temps ( ou bien ce qui me fait sembler le temps plus long) dans l’exécution des aventures de Nil et Nelsia, ce sont les minuscules dessins au format timbre-poste (dessin est un grand mot. Des fantômes de croquis plutôt !) que je dois poser avant d’attaquer une planche et de savoir ce que je vais y dessiner. N’ayant pas choisi de faire un story-board général avant de commencer à dessiner cette histoire, je suis confronté toutes les semaines à deux pages blanches vaguement habitées par l’emplacement des dialogues et du texte, seule partie faite au préalable. En effet, pour conserver le bonheur (ou l’horreur) de l’inconnu, la « mise en scène « des planches est improvisée chaque semaine.
Et évidemment, chaque semaine, je me dis que je ne vais pas m’en sortir !
Ma méthode consiste donc, devant des cases tracées à l’encre de manière un peu arbitraire, et sur lesquelles j’ai déjà écrit le texte, à tester mentalement un, deux, cinq, parfois dix angles de vue pour la même case. Je sais très bien que je ne suis pas un bon dessinateur : je parviens juste à représenter à peu près correctement le reflet de l’image que j’imagine. L’angle de cette image doit être donc le bon. La même case vue sous un mauvais angle modifiera complètement la perception de la page. Et ce travail invisible (dix traits posés dans la marge) constitue l’essentiel du travail pénible à accomplir. Ce sont ces dix traits qui feront que la planche sera immédiatement lisible ou non.
Personnellement, je suis persuadé ( comme Tardi l’a dit avant moi dans des interviews qui l’ont parfois rendu antipathique à des dessinateurs chevronnés) que la bande dessinée n’a rien à voir avec la virtuosité du dessin mais que tout repose sur le soin porté à la mise en scène, au cadrage, et au rythme.
Hergé recevant le jeune Cuvelier qui ouvrait devant lui son carton à dessin lui a dit : « C’est vous qui devriez me donner des leçons ! »
Et il est vrai que Cuvelier était un dessinateur hors pair. Mais qui s’en souvient ? (C’est bien dommage d’ailleurs). Mais selon moi, la BD n’a rien à voir avec le fait de « bien dessiner ». Il faut surtout dessiner le plus fidèlement possible ce qu’on imagine.
En effet, contrairement à l’illustration , le but n’est pas de créer une « belle image », mais de créer juste l’image nécessaire pour que le récit avance correctement . Et comme il n’y a rien de plus douloureux que de gommer un dessin réussi mais mal adapté au rythme du récit, il ne faut surtout pas commencer à dessiner avant de s’être assuré que l’angle choisi est le bon, la place proportionnelle des différents éléments conforme au discours que l’on veut tenir, et qu’aucune autre option n’aurait été préférable ou plus efficace.
Je crois que Sfarr donne quelque part le conseil de faire au préalable, avant toute dessin, une version minuscule de chaque case, et de la refaire spontanément en grand format, sans s’ennuyer avec des crayonnées trop poussés. En procédant ainsi, on conserve une force et une vivacité qu’aucun « léchage » du dessin ne parviendra à atteindre. C’est plus ou moins ce que je fais depuis toujours avec ce que j’appelle mes « croquis timbre-poste » : si j’arrive à lire l’image et à la comprendre quand elle fait 1 cm sur 2, alors le lecteur la lira facilement quand elle sera à son format d’arrivée.
Quand je possède tous les minuscules crobards qui composent une planche, quand il ne reste plus de doute ou d’incertitude sur le contenu de chaque image, dessiner va vraiment très très vite.
A moins que ce soit le temps qui me semble soudain beaucoup plus court !
Ci-dessous quelques exemples des "croquis timbre-poste" tellement plus difficiles à produire parfois que plein de jolies grandes cases détaillées...parce qu'à ce stade tout est possible ! :( Chaque case est à peu près de la taille d'un timbre-poste ordinaire).